Une idée, un ouvrage, un concept, une “matière à penser” que nous vous partageons pour ouvrir la réflexion, découvrir de nouveaux sujets et vous amener à (re)penser sous un autre angle.
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L’hypersensibilité sera-t-elle la nouvelle botte secrète de la créativité des entreprises ? L’engouement pour ce concept à la mode pourrait le laisser penser. Chez Orange, Thalès, Airbus, Sanofi ou à la SNCF, on essaie déjà de tirer parti de cette différence cognitive, privilège de quelques individus. Selon les deux auteurs les plus prolifiques sur le sujet, la psychologue californienne Elaine Aron (Hypersensibles : mieux se comprendre pour s’accepter et Aimer quand on est hypersensible) et le psychothérapeute franco-suisse Saverio Tomasella (Ultrasensibles au travail et Trop sensibles pour être heureux ?), environ 30 % de la population mondiale serait HS (non pas hors-service mais Highly Sensitive).
Attention, ce n’est pas parce que vous pleurez ou riez tout le temps que vous êtes hypersensible. Sur-réagir, être débordé par ses émotions, amplifier ses ressentis et leurs récits, détecter plus vite que la moyenne l’état émotionnel des autres, subir parfois des attaques de panique, avoir peur du conflit, ruminer, passer de la sérénité à l’angoisse sans transition, sont quelques-uns des symptômes les plus caractéristiques de l’hypersensibilité, avec chacun leur potentiel négatif ou positif.
Partant de l’hypothèse que l’individu hypersensible a une configuration neuro-biologique singulière, de nombreux chercheurs fouillent dans la chimie du cerveau pour en trouver l’origine. D’autres se contentent de la mesurer : ainsi le Test HSPS (Highly Sensitive Person Scale) de Elaine Aron comporte-t-il 27 questions qui vont par exemple de « la musique vous transporte-t-elle ? » à « êtes-vous particulièrement sensible à l’état émotionnel de votre entourage ? ».
« Ce qui érafle les autres me déchire » disait Flaubert de lui-même. Il ne faudrait pas en déduire que tout hypersensible est un artiste.
Le sujet hypersensible a ses avantages compétitifs et ses inconvénients structurels. Avantages compétitifs : il perçoit des détails non détectés par les autres, a des curiosités que les autres n’ont pas, anticipe les réactions intuitives de ceux qui travaillent avec lui, peut déduire ce que son interlocuteur pense vraiment de sa gestuelle corporelle, est capable de se mettre dans la tête de tous ceux qui sont autour de lui dans une réunion. Capteur subtil d’émotions, il est aussi un redoutable détecteur de pensées, séducteur télépathe et rhéteur convaincant.
Inconvénients structurels : il a du mal à organiser ses processus mentaux, peine à structurer son architecture cognitive et à prioriser ses tâches, peut faire preuve d’une grande impulsivité sexuelle, reste très vulnérable au stress, fait difficilement des concessions, s’estime généralement incompris. Se sentant souvent émotionnellement déplacé ou décordé, il peut alors se vivre comme un imposteur et développer une charge négative ou morbide dans ses relations professionnelles et sociales.
Il faut bien comprendre l’ambivalence de l’hypersensibilité : formidable ressource pour l’entreprise, si elle est maniée avec délicatesse, elle est un gain d’expressivité mais pas forcément d’imagination, une réserve d’humanité mais pas forcément d’inventivité. Il faut apprendre à la réguler sans l’inhiber, à la partager sans la normaliser. Un nouveau défi pour le management et l’art de détecter les talents !